
À Tombouctou, la menace d’un blocus se transforme en une réalité alarmante
Initialement, les habitants de Tombouctou ont perçu les menaces des jihadistes d’imposer un blocus comme de simples tentatives d’intimidation, selon une figure de la société civile locale. Aujourd’hui, ils font face à une situation où ils sont presque complètement isolés du reste du monde, confrontés à la dure réalité de cette menace grandissante.
Abdoul Aziz Mohamed Yehiya témoigne : « On pensait que c’était juste des messages vocaux pour semer la psychose. Aujourd’hui, franchement, ce qu’on est en train de vivre, c’est exactement le blocus. »
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda qui est en conflit avec l’État malien depuis des années, a annoncé en août sa décision de « guerre » dans la région de Tombouctou. Les jihadistes ont averti que les camions en provenance d’Algérie, de Mauritanie et d’autres endroits ne seraient plus autorisés à passer, sous peine d’être « ciblés et incendiés ».
Des témoignages recueillis sur place et par téléphone par l’AFP décrivent la vie des quelques dizaines de milliers d’habitants de la ville, surnommée la « cité aux 333 saints » et la « perle du désert ». Les camions ne peuvent plus y pénétrer, et les déplacements hors de la ville sont devenus extrêmement risqués. De plus, des produits de première nécessité commencent à manquer, et sporadiquement, des obus tombent sur la ville.
La route qui mène à Tombouctou est devenue particulièrement dangereuse, obligeant certains à se tourner vers le fleuve Niger comme seule alternative pour acheminer des biens et des personnes. Cependant, même cette option a été interrompue après une attaque attribuée aux jihadistes qui a tué de nombreux civils à bord du ferry le Tombouctou le 7 septembre.
Les liaisons aériennes ne sont pas non plus épargnées, car la seule compagnie desservant Tombouctou, Sky Mali, a suspendu ses vols après une attaque à l’obus près de l’aéroport.
Les jihadistes étendent leur influence dans les zones rurales environnantes, ce qui ne vise pas nécessairement à prendre les villes, mais à accroître la pression sur l’État central.
La junte au pouvoir, confrontée à de multiples défis sécuritaires à travers le pays, minimise les effets du blocus sans pour autant le nommer ainsi.
À Tombouctou, l’économie souffre, le commerce décline, et les produits de base se raréfient, entraînant des hausses de prix. Les habitants font déjà les frais de cette pénurie et de la spéculation, notamment avec l’essence qui coûte désormais 1 250 francs CFA (environ 1,9 EUR) le litre, contre 700 francs CFA précédemment.
En plus de ces difficultés économiques, les habitants vivent dans la crainte pour leur sécurité, surtout depuis le retrait en cours de la mission de l’ONU, poussée vers la sortie par la junte. Les jihadistes renforcent leur emprise sur la région.
La situation est rendue encore plus complexe par la crainte d’une offensive de groupes séparatistes touaregs et arabes, qui a poussé de nombreux commerçants à vider leurs magasins par peur de représailles.
Tombouctou, connue pour son riche patrimoine historique, connaît désormais des rues vides et une atmosphère morose, avec une inquiétude grandissante parmi les habitants.
Face à cette situation tendue, certaines voix appellent à des pourparlers avec les jihadistes, bien que cela soit compliqué en raison de la méfiance envers les autorités et du refus déclaré de Bamako de négocier avec les terroristes.
Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a encouragé la résilience des habitants, soulignant que « il faut tout sacrifier pendant un moment pour inverser la tendance. Ça se fait dans la douleur ».